jeudi 14 janvier 2010

Si Dieu existe, quel est son problème avec Haïti?

Séisme en Haïti :Dany Laferrière, sain, sauf mais éprouvé


Sentir le sol se dérober sous ses pieds, voir sa ville disparaître dans un nuage de poussière grise, dormir sur un terrain de tennis de peur que l'hôtel où l'on loge s'écroule et nous engloutisse, apprendre que des amis sont ensevelis sous les décombres et n'en sortiront pas vivants, partir à la recherche de sa mère et de sa soeur dans des rues défoncées, jonchées de débris et de cadavres, voilà à quoi a ressemblé la journée de Dany Laferrière hier au lendemain de la pire catastrophe naturelle et humanitaire à frapper Haïti.


Dany Laferrière au court de tennis de l'hôtel Karibe, où des matelas ont été sortis en catastrophe dans la première nuit qui a suivi le séisme.

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Laferrière

Dire que pour Dany Laferrière, ce séjour de deux semaines dans son Port-au-Prince natal s'annonçait comme une fête. Déjà, avant Noël, au début de décembre, Dany se faisait une joie de commencer l'année avec ce retour à Port-au-Prince: un retour non pas énigmatique comme le titre de son dernier roman, mais un retour joyeux, amical et festif où il revenait chez lui à titre de coprésident du festival littéraire Étonnants Voyageurs.

En attendant l'arrivée d'une cinquantaine d'écrivains venus d'Afrique, d'Europe, d'Asie, d'Amérique et même du Québec, Dany et l'écrivain et ami montréalais Rodney Saint-Éloi étaient allés préparer le terrain.

Ils avaient fait le tour des radios puis des cafés et des écoles où devait se dérouler le festival avec d'autant plus de fébrilité que c'était la deuxième fois que les Étonnants Voyageurs, créé à Saint-Malo en 1990, tenait une présentation spéciale chez eux à Port-au-Prince.

Depuis une semaine, en raison de problèmes récurrents avec les lignes téléphoniques, Dany communiquait tous les jours par courriel avec sa femme Maggie, restée à Montréal. Les nouvelles étaient bonnes, le ciel était bleu, l'hiver québécois loin, tout baignait. Dany se faisait une joie d'accueillir ses amis écrivains au théâtre Rex, à l'hôtel Karibe, à l'Institut français et dans les jardins verdoyants du ministère de la Culture et des Communications. Pas une fois pendant cette semaine de préparation, ne s'est-il douté de la terrible catastrophe qui devait s'abattre sur son pays et le dévaster.

Maintenant, dans les jardins verdoyants où Dany devait aujourd'hui même prononcer un discours et boire un verre à la santé de la littérature, tout n'est plus que silence, ruines et dévastation. Le festival a été annulé. Les fondations de l'hôtel Karibe où demeurait Dany menacent en tout temps de s'écrouler. Des matelas ont été sortis en catastrophe et lancés comme des balles sur les terrains de tennis dans la première nuit de noirceur et de terreur qui a suivi le séisme. Maggie croit que cette nuit-là, son mari a tenté à au moins cinq reprises de l'appeler. Le téléphone sonnait, Maggie décrochait et presque aussitôt la communication coupait. Ce n'est qu'hier en fin de matinée, après une nuit d'angoisse et d'insomnie, qu'elle a reçu un courriel de Dany lui annonçant tout simplement et sans effusion ni détails que tout allait bien. Pour l'épargner, Dany n'a pas dit à sa femme qu'une partie de l'hôtel où il logeait s'était effondré. En revanche, il lui a fait part de son inquiétude au sujet de sa mère et de sa soeur dont il était sans nouvelles depuis le séisme.

Et puis hier matin, après avoir survécu à cette terrible première nuit et à avoir fait le deuil des cafés littéraires, des échanges et des discussions sur la littérature qu'il aurait dû être en train d'avoir, Dany est parti à Delma à la recherche de sa soeur et de sa mère.

L'écrivain Alain Mabanckou, un copain de Dany qui enseigne la littérature en Californie, devait être de la fête. Il est resté bloqué à l'aéroport de Miami et en a profité pour inaugurer un nouveau blogue où il a écrit: «Au fond, c'est à présent que le sublime roman de Dany, L'énigme du retour, prend un sens prophétique. Je le relis et les mots ne sont plus les mêmes. Quelque chose se tramait dans ce livre. Nous ne l'avions pas vu. Nous ne l'avions pas décrypté. Et la nature vient de nous le rappeler...»

Je ne sais pas si Dany serait d'accord avec cette interprétation. Son pays dévasté a connu tellement d'épreuves qu'il ne pouvait pas imaginer ni même pressentir qu'après les quatre ouragans de l'année dernière, il pouvait y avoir pire. Mais Dany serait sans doute d'accord avec ces deux questions que se posent bien des gens. Si Dieu existe, quel est son problème avec Haïti? Et si Dieu éprouve ceux qu'il aime, pourquoi aime-t-il tant Haïti?



Nathalie Petrowski
La Presse

1 commentaire:

France a dit…

Merci beaucoup de me donner des nouvelles de cet écrivain.

Début janvier, j’ai commencé à lire L’énigme du retour…

Je partage beaucoup d’images communes avec cet auteur,
Qui dépeint très finement et très pertinemment son pays.

Je suis en pensée et en prières avec lui et tout le peuple haïtien.