lundi 27 juillet 2009

Les deux Marie




«C'est d'une beauté sans nom», dit-elle d'entrée. L'héroïne est une écrivaine authentique, son verbe est fort, sa quête de vie, immense. C'est une contemplatrice, mais aussi une femme de tête et d'action. Et puis «c'est une amoureuse!» (...)


Le projet mijotait depuis 1980. Jean-Daniel Lafond et elle ont d'abord pensé à un film. Ils ont lu 800 des quelque 13 000 lettres écrites par Marie Guyart, s'attachant en particulier à sa correspondance avec son fils Claude. Le tri fut déchirant, on a fait le deuil de «nombreux beaux textes». Certains les ont proprement renversés par leur sensualité. «On s'est dit : c'est incroyable, il faut aussi amener ça à la scène.» (... )

C'est devenu un diptyque cinéma-théâtre.



La gestuelle et les attitudes s'inspirent de la statuaire de Bernini et des tableaux de Georges de La Tour, des contemporains de Marie de l'Incarnation (1599-1672). ( ...)


La pièce embrasse toute la vie du personnage, de ses visions d'enfant en Touraine à sa mort à Québec. Elle évoque la plupart de ses quêtes. Mariée à 18 ans, Marie de l'Incarnation se retrouve en moins de deux ans veuve de son mari artisan de la soie, qui lui laisse un fils de six mois, Claude. Elle met bientôt son flair de gestionnaire au service de sa soeur et de son beau-frère, sauve leur entreprise de la faillite, et la fait même prospérer. En 1631, elle entre au cloître, et en 1639 elle part au Canada instruire les Amérindiennes et les filles des colons français, et fonder l'Ordre des Ursulines de Québec. Elle ne reverra pas la France. Elle travaille sans relâche, dans des conditions pénibles au début. Elle apprend les langues amérindiennes, rédige des dictionnaires de l'algonquin et de l'iroquois. Elle sera du reste plus bienveillante que son époque pour ces peuples présumés en mal d'être «civilisés».


À première lecture, rien n'a plus ébranlé Marie Tifo, qui a élevé trois enfants et s'enorgueillit de cinq petits-enfants, que l'abandon par l'héroïne de son fils de 12 ans pour suivre sa voie. «J'ai eu un choc, mais quand tu comprends l'époque, que tu sais qu'à cet âge-là, on était alors mis en apprentissage pour gagner sa vie, et que tu vois qu'elle lui a tout raconté dans ses lettres, tu te dis que ça prend un amour incroyable pour faire ça et tu passes par-dessus. J'ai réglé ça, je ne suis plus capable de dire qu'elle a abandonné son fils. L'amour de Dieu et du fils, ça se confond en elle.»


L'actrice n'en doute pas un instant, Marie de l'Incarnation, «qui a connu le désir humain» et qui ne se voile pas à la poésie sensuelle du Cantique des cantiques, est une «passionnée», une femme forte sourde à la souffrance et épanouie dans le don de soi. Elle la relie à l'apparition du «je». «Elle est venue ici pour une quête de la liberté et elle est demeurée libre jusqu'au moment de sa mort.»


«L'incarner est pour moi un apaisement, sur la scène et dans la vie».


Source : LE SOLEIL

1 commentaire:

Esther a dit…

Merci pour le beau texte sur les 2 Marie.