«Les troubles psychiques font émerger une personne attachante»
TÉMOIGNAGE | Anne-Catherine Menétrey raconte vingt-cinq ans d’intimité avec son ami «borderline» dans un très beau livre fort en émotions.«On s’est heurtés à beaucoup d’incompréhension. On s’est souvent sentis très seuls.»
C’est peut-être cela qui a poussé la psychologue et politicienne vaudoise Anne-Catherine Menétrey-Savary, 71 ans, à publier un très beau livre dans lequel elle raconte les vingt-cinq ans qu’elle a vécus avec son compagnon atteint de troubles de la personnalité borderline, une maladie qu’on connaît mal, et qui se manifeste par un excès d’émotivité. La personne qui en souffre passe ainsi des phases d’enthousiasme démesuré avant de manifester des angoisses, des troubles obsessionnels du comportement (TOC), des crises de panique ou d’agressivité, souvent agrémentés d’une dépression. Nombreux sont ceux qui finissent par se suicider.
Le compagnon d’Anne-Catherine Menétrey était de ceux-là. Il s’est finalement pendu, il y a trois ans, dans la cave de son immeuble, épuisé psychiquement. Et la psychologue commence ainsi son livre, par la fin de cette relation passionnée et profonde, qu’elle vivait presque secrètement. «Beaucoup, dans mon entourage, ignoraient même ton existence à mes côtés», écrit-elle dans son livre, construit comme un dialogue dans lequel elle écrit au disparu et où ce dernier lui «répond» par des extraits de cartes postales qu’il aimait lui envoyer ou par des notes qu’il prenait tout le temps et partout.
Un amour agité
Lorsqu’elle rencontre celui dont elle ne donne pas le prénom, par discrétion, en 1981, Anne-Catherine Menétrey est loin de se douter de sa maladie. Certes, cet homme est passionné, parfois angoissé, mais il maîtrise très bien son monde. Seules quelques virées de bistrot en bistrot où il aime jouer au grand prince auraient pu l’alerter. Le couple se forme, il vient habiter chez elle, mais un peu comme un nomade, sans apporter avec lui d’objets qui pourraient l’attacher. Il dirige une petite affaire touristique à la perfection, gère 1 million de chiffre d’affaires sans problème. Mais, en 1991, il décide de quitter son poste et là, comme si un cadre structuré lui manquait, sa maladie s’installe de plus en plus. Il y a d’abord l’obsession de ses yeux, qu’il croit irradiés lors d’une radiographie de son dos. Mille contrôles chez des ophtalmologues différents n’y feront rien. L’angoisse ne peut être vaincue. Et, surtout, un débat dialectique s’engage entre les amants. «Pourquoi les médecins se protègent-ils d’un tablier avant de faire une radio? Cela prouve que c’est dangereux!» Anne-Catherine Menétrey l’avoue: «Démêler le rationnel et l’irrationnel devient vraiment difficile.»
Puis il y a les crises d’angoisse, les moments de prostration qui peuvent le conduire à rester trois jours au lit dans le noir, l’alcool comme un exutoire parfois et même la violence.
Les moments heureux
Mais il y a aussi les moments d’amour, de balades, de voyages où son compagnon se montre merveilleux. «La maladie révèle des ressources nouvelles chez le malade, ressources qui le rendent très attachant. Elles révèlent également une sensibilité hors du commun.» Ce sera ainsi la lecture, lui qui ne lisait pas. Anne-Catherine Menétrey découvre que son homme est un habitué de la bibliothèque du Beau-Rivage, à Lausanne, où il dévore les ouvrages. Et il se met à écrire ses fameuses cartes postales qu’il ne cesse de lui envoyer, poétiques, intelligentes, profondes, parfois douloureuses. Il prend des notes sur tout ce qu’il lit ou pense.
La souffrance des proches
Sans le vouloir, ou presque, la Vaudoise se livre aussi énormément dans ce témoignage qui se lit avec émotion. Car cette maladie est cause d’une souffrance énorme pour les proches, qui ne cessent de se demander comment faire, comment aider. Qui culpabilisent parce qu’ils n’y arrivent pas. Qui apprennent à faire comme le malade, à dissimuler, à éviter les obstacles.
En 1996, elle entreprend elle-même une psychothérapie pour s’en sortir. Et, en 1997, son amant la quitte. «Ce n’est pas un hasard, c’était au moment où j’avais enfin repris ma vie en main.» Les deux amants resteront pourtant très proches, retrouvant leur complicité au gré de voyages à deux quand la maladie le permet.
Consultations médicales, séjours en institutions psychiatriques ne guériront pourtant pas le malade. «Il n’y a pas de solution, les médecins sont souvent impuissants», admet la psychologue aujourd’hui.
Elle-même, trois ans après le suicide de son ami, ne se sent plus coupable de n’avoir pas pu l’éviter. Mais elle veut témoigner de la souffrance de ces malades qu’on veut ignorer, quand on ne les fustige pas parce que certains touchent l’AI. Elle veut dire aussi la souffrance des proches. «Les réactions, dans la famille de mon compagnon, ont été diverses. Peut-être que mon livre permettra des échanges entre nous, que nous n’avions pas réussi à avoir auparavant. »
DAVID MOGINIER
Borderline, à un compagnon disparu, A.-C. Menétrey-Savary, postface du Dr François Borgeat. Ed. d’En Bas, 176 p.
2 commentaires:
Faisons tous notre possible pour vivre chacune de nos vies au maximum et soyons presents l'un l'autre. Jusqu'a quel points sommes nous a l'abri de la febrilite de notre quotidien?
Très beau et vrai commentaire. Dommage que vous restiez anonyme. Vous avez de pertinentes choses à dire.
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