samedi 5 juillet 2008

Pardon et honte Monsieur Federico García Lorca ! ( Mise à jour )

À la mémoire de tous les petits qui se font injustement manger par les grands.




Aujourd'hui, je ne ferai pas dans la dentelle.
Si vous vous sentez enjoué et gai, je vous conseille de passer à autre chose.
Car je risque de vous bousiller net toute cette joie. Même si la cause est noble.

J'aurais préféré ne jamais connaître ces mots de Lorca.

Préféré les savoir, mais sans les lire. Ces mots me tuent. Parce que les vérités qu'elle exècrent et dénoncent me tuent encore davantage. Ce qui me retient en vie, toutefois, c'est la révolte qu'elle fait naître en moi. Une révolte que je veux vivante et criant aux barricades. Animaux, animaux, je vous aime et je serai toujours votre défenseur, même si...je vous mange et achète votre chair. Mille pardons. Même si je ne les mérite pas.


Pour que ces mots, ne jamais se taisent, je les fais miens, et je les mets ici.
Je vous encourage à tout lire. S'il le faut, faites des pauses pour ventiler. Mais revenez-y.

Je tiens à vous mettre en garde, donc. Tous les coeurs sensibles.
Ce poème intitulé New-York : officine et dénonciation de Frederico García Lorca est dur. Impitoyable. Il ne mâche pas ses mots.Il dénonce la violence faite aux animaux sans détours ni embâches. Federico García Lorca aimait la gente animale, de toute évidence. Si vous êtes comme lui, vous serez bouleversés et choqués. Mais vous trouverez en lui, une voix, un porte-étendard, un allié inestimable. Ce texte réconfortera les végétariens et culpabilisera sans doute - j'ose le croire - les carnivores. Comme moi.

"Shame on me. Shame on us " !

Et merci quand même, Monsieur Federico García Lorca !



P.s. : la division, telle qu'elle se présente ici n'est ni la volonté de l'auteur, ni celle de son traduction, mais la mienne. En raison de la densité du contenu et des émotions qu'elles suscitent, j'ai pensé, que des arrêts, dans les circonstances, seraient bénéfiques.


NEW YORK

Officine et dénonciation



Sous les multiplications il y a une goutte de sang de canard.
Sous les divisions Il y a une goutte de sang de marin.
Sous les additions, un fleuve de sang tendre;
Un fleuve qui avance en chantant par les chambres des faubourgs,
Qui est argent, ciment ou brise dans l'aube menteuse de New York.


Les montagnes existent, je le sais.
Et les lunettes pour la science, je le sais.
Mais je ne suis pas venu voir le ciel.
Je suis venu voir le sang trouble
Le sang qui porte les machines aux cataractes et l'esprit à la langue du cobra.

Tous les jours on tue à New York quatre millions de canards,
Cinq millions de porcs, deux mille pigeons pour le plaisir des agonisants,
Un million de vaches, un million d'agneaux
Et deux millions de coqs qui font voler les cieux en éclats.

Mieux vaut sangloter en aiguisant son couteau
Ou assassiner les chiens dans les hallucinantes chasses à courre,
Que résister dans le petit jour aux interminables trains de lait,
Aux interminables trains de sang et aux trains de roses aux mains liées
par les marchands de parfums.

Les canards et les pigeons, les porcs et les agneaux
Mettent leurs gouttes de sang
Sous les multiplications ;
Et les terribles hurlements des vaches étripées emplissent de douleur la vallée
Où l'Hudson s'enivre d'huile.

Je dénonce tous ceux qui ignorent l'autre moitié,
La moitié non rachetable qui élève ses montagnes de ciment
Où battent les coeurs des humbles animaux
Qu'on oublie
Et où nous tomberons tous à la dernière fête des tarières

Je vous crache au visage.

L'autre moitié m'écoute, dévorant, chantant,
Volant dans sa pureté
Comme les enfants des conciergeries
Qui portent de fragiles baguettes dans les trous
Où s'oxydent les antennes des insectes.
Ce n'est pas l'enfer, c'est la rue.
Ce n'est pas la mort, c'est la boutique de fruits.

Il y a un monde de fleuves brisés et de distances insaisissables
Dans la petite patte de ce chat,
Cassée par l'automobile,
Et j'entends le chant du lombric dans le coeur de maintes fillettes.

Oxyde, ferment, terre secouée.
Terre toi-même qui nages dans les nombres de l'officine.

Que vais-je faire : mettre en ordre les paysages ?
Mettre en ordre les amours qui sont ensuite photographies,
Qui sont ensuite morceaux de bois et bouffées de sang?

Saint Ignace de Loyola assassina un petit lapin
Et ses lèvres en gémissent encore
Dans les tours des églises *

Non, non ; je dénonce, je dénonce la conjuration de ces officines désertes
Qui n'annoncent pas à la radio les agonies,
Qui effacent les programmes de la forêt,
Et je m'offre à être mangé par les vaches étripées
Quand leurs cris emplissent la vallée
Où l'Hudson s'enivre d'huile.



Le Poète à New York
Traduction de Pierre Darmangeat et Marcelle Auclair *

Federico García Lorca
né le 5 juin 1898 à Fuente Vaqueros près de Grenade et mort le 19 août 1936 à Víznar,
était un poète, dramaturge, peintre, pianiste et compositeur espagnol.


Note 1 : Ce poème ainsi que tous le recueil dont il est issu, a été adapté en danse, pour la scène, ce printemps à Paris. Zutt, j'ai manqué cela. http://www.arte.tv/fr/art-musique/journal-culture/2037562.html


2 commentaires:

Doréus a dit…

La traduction est un tantinet étrange (et littéraliste)... ce qui m'a amené à aller faire un tour du côté de l'original.

Il manque d'ailleurs un petit bout de poème dans la traduction, vers la fin, avant «Non, non, non, je dénonce»: (traduction libre de moi-même)

«Saint Ignace de Loyola
assassina un petit lapin
et ses lèvres gémissent encore
des tours des églises.»

Je ne sais pas trop si c'est la cruauté envers les animaux que Lorca dénonce, ou la cruauté d'une société qui ne respecte pas la vie (même humaine), ce qui transparaît à travers tout le volume Un poète à New York. Son expérience de la vie urbaine new-yorkaise l'a dégoûté et c'est surtout ce dégoût de toute cette civilisation qui annihile l'humain et l'essence de la vie qui transparaît à travers toute l'œuvre. Les animaux en sont une illustration patente en forme de métaphore.

Ce qui n'enlève pas sa force de dénonciation à ce poème où gicle le sang d'une manière que seul un Espagnol pourrait arriver à l'exprimer, avec tout son côté cru.

Le message que j'en retiens est que si nous sommes capables de cruauté envers des êtres sans défense, nous sommes capables de toutes les cruautés... y compris celles que l'on cache derrière le côté propret et correct d'une bureaucratie qui tue dans les officines aussi efficacement que n'importe quel abattoir.

Merci de nous avoir partagé cette trouvaille.

atalante a dit…

Bien dit Doréus. Et intéressant, pertinent même. Tu me complètes, merci.Il va sans dire que je tarderai pas avant de me procurer tout le volume, justement. S'il se trouve.