Photo : Jacques Grenier - Le Devoir
Gilles Carle était à la fois cinéaste, scénariste, producteur, réalisateur publicitaire et peintre. Il est décédé samedi des suites de la maladie de Parkinson qui l’avait laissé diminué depuis des années.
Ces dernières années, on le voyait se faire trimballer lors des lancements, des hommages, dans son fauteuil roulant, muet depuis cinq ans, le corps affaissé, sans plaintes ni gémissements. Sa fidèle compagne, Chloé Sainte-Marie, qui nous aura épatés par son courage, disait chaque fois: «Il comprend tout. Il vous voit.» Elle avait ses codes à elle pour le saisir. On détournait parfois le regard, peinés, désemparés, secoués par des élans d'impuissance devant la déchéance physique du géant des écrans, qui enfanta nos rêves et nos détresses à l'heure où le Québec se réinventait.
Était-ce bien notre Gilles Carle aux yeux bleus de capitaine au long cours et à la crinière léonine, si fier, si créatif, si brillant, populiste parmi les bourgeois, érotomane et poète burlesque, l'amoureux du Carré Saint-Louis et de l'île Verte? Ce même cinéaste phare qui nous disait jadis: «Je tourne juste pour rester vivant», le voici mort à 80 ans. Achevé par la maladie de Parkinson, sournoise, qui l'avait claquemuré dans sa chair. Chloé, ses enfants, ses amis, ses admirateurs l'auront vu dépérir de mois en mois. Puisse-t-il trouver en quelque éther la délivrance!
Une trentaine de courts et longs métrages dans une oeuvre foisonnante, passionnée, à l'écoute d'une société émergeant du giron religieux. Son oeil fut témoin et révélateur de toutes nos fractures.
Il ne vieillira pas dans La maison d'hébergement Gilles-Carle, inaugurée le 7 novembre dernier à Saint-Paul-d'Abbotsford, par sa compagne, qui s'était battue bec et ongles afin d'ériger ce centre destiné aux personnes en perte d'autonomie. Son nom servira là-bas de bannière.
Gilles Carle, qui aura droit à des funérailles nationales, s'étonnait toujours, lui si anticonformiste, de recueillir les honneurs, voire d'avoir bel et bien une oeuvre derrière lui.
Il en aura reçu, des distinctions pourtant, du prix Albert-Tessier, à la Légion d'honneur française, à une pluie de prix Génie, sans compter le reste. Si longtemps accueilli à Cannes, où six de ses films furent projetés. En compétition en 1972 avec sa merveilleuse Vraie Nature de Bernadette dans lequel irradiait Micheline Lanctôt, en âme généreuse aux ailes brisées par la médiocrité du monde. Il remportera sur la Croisette en 1989 la palme d'or du meilleur court métrage avec 50 ans, sur le parcours de l'ONF.
Depuis la sortie des Mâles en 1970 à Paris dans un cinéma porno, accueilli par une presse française enthousiaste, la France l'avait adopté, tout comme sa muse, la belle Carole Laure. Gilles Carle a fait rayonner notre septième art dans nos frontières et hors Québec, avec ce dosage d'humour, de fantaisie, de grivoiserie, de lyrisme, d'imagination folle et cette quête d'une identité fuyante, récoltée parfois sur les traces d'un père enfui, comme dans l'emblématique Mort d'un bûcheron.
Carole Laure, avec six longs métrages en tandem, évoquait hier la mémoire de celui qui changea son destin: «Cultivé, passionné, pédagogue, témoin attentif de sa société. Il m'a tout appris!»
Il jugeait notre cinéma timoré en général, lui qui brisait tous les moules. Macho et féministe, libérant ses héroïnes ou les cassant, montrant leur exploitation, épris des femmes et des actrices, dont plusieurs furent ses compagnes. Avec surtout Carole Laure dont il fut le mentor et l'amoureux des années 70, puis sa dernière muse Chloé, pourtant éreintée par la critique en 1986 dans La Guêpe et Carle avec elle. Le cinéaste, bon prince, nous avouait avoir énormément appris de cet échec, et se pencher davantage sur le style des critiques que sur leurs flèches assassines... Mais le coup fut rude.
Du Viol d'une jeune fille douce en 1968, à Pudding Chômeur, en passant par La Vraie Nature de Bernadette, La Mort d'un bûcheron, La Tête de Normande Ste-Onge, Fantastica, Maria Chapdelaine, etc., que de femmes il aura placées au bord du gouffre ou à la tête des eaux, entre écrasement et libération, ou vice-versa! Même les acteurs qu'il mit en scène, dont Donald Pilon, un de ses interprètes fétiches, en Métis aux prises avec la société dominante dans Red en 1969, eurent droit souvent aux rôles de déchirement. Et comment oublier l'adaptation grandiose des Plouffe de Roger Lemelin en 1981, fresque demeurée culte?
Carle se destinait à la science, à la littérature ou aux arts visuels — il avait étudié à l'École des beaux-arts de Montréal —, mais fit son entrée au cinéma dans un ONF en ébullition, à travers des courts métrages documentaires. C'est l'extraordinaire Vie heureuse de Léopold Z, faux documentaire sur le déneigement détourné en fiction touchante et libertaire, qui le révélera en 1965. Carle quittera l'Office National du film l'année suivante, faute de pouvoir réaliser les fictions dont il rêvait. C'est en tandem avec Pierre Lamy qu'il produisit plusieurs films témoins de l'éclatement de la Révolution tranquille, mais aussi des séquelles des années de noirceur, dont La Mort d'un bûcheron, à cheval sur nos racines et nos libérations, premiers pas dans ses films de la jeune Carole Laure.
De son Maniwaki natal, en pleine Abitibi où il naquit en 1929 dans un milieu modeste, d'une jeunesse plus tard à Rouyn-Noranda en découvrant le cinéma avec enchantement, il aura conservé une liberté et un amour de la nature que ce Métis algonquin ne dédaignait pas attribuer à ses racines autochtones.
Cinéaste, scénariste, producteur, réalisateur publicitaire aussi, également peintre montrant le même humour hirsute que dans ses films, il s'est voulu un créateur populaire avant tout. Même dans certains documentaires, genre dans lequel il excellait, tels Ô Picasso, Cinéma, Cinéma, Vive Québec, aux montages fous et libres. Mais son meilleur documentaire fut en 1982 Jouer sa vie, incursion dans l'univers des joueurs d'échecs, qui connut un retentissement international très mérité.
.En fin de course, ses fictions s'essoufflaient. La Guêpe, La Postière et Pudding Chômeur ne furent pas ses meilleurs coups, tant s'en faut, mais Carle se battait pour continuer, contre les institutions souvent. Il n'aura jamais pu faire son film sur La Corriveau qui l'inspirait si fort.
Charles Binamé avait réalisé en 2006 l'émouvant documentaire Gilles Carle ou l'indomptable imaginaire, pas de deux entre cinéaste diminué et sa lumineuse Chloé face aux beautés de l'île Verte.
Aujourd'hui, tous ces Gilles Carle de lumière et d'ombre se réconcilient, face au rôle immense qu'il joua en propulsant au cinéma un Québec tout écartillé. Sa mémoire nous remonte à la gorge. Parti déjà? Parti enfin au bout de ses souffrances? Ou bien retrouvé à l'heure des bilans et des discours avec six millions de mercis?
Gilles Carle 1929-2009 - L'oeil phare de nos libérations s'éteint Odile Tremblay 30 novembre 2009 Le devoir
Gilles Carle était à la fois cinéaste, scénariste, producteur, réalisateur publicitaire et peintre. Il est décédé samedi des suites de la maladie de Parkinson qui l’avait laissé diminué depuis des années.
Ces dernières années, on le voyait se faire trimballer lors des lancements, des hommages, dans son fauteuil roulant, muet depuis cinq ans, le corps affaissé, sans plaintes ni gémissements. Sa fidèle compagne, Chloé Sainte-Marie, qui nous aura épatés par son courage, disait chaque fois: «Il comprend tout. Il vous voit.» Elle avait ses codes à elle pour le saisir. On détournait parfois le regard, peinés, désemparés, secoués par des élans d'impuissance devant la déchéance physique du géant des écrans, qui enfanta nos rêves et nos détresses à l'heure où le Québec se réinventait.
Était-ce bien notre Gilles Carle aux yeux bleus de capitaine au long cours et à la crinière léonine, si fier, si créatif, si brillant, populiste parmi les bourgeois, érotomane et poète burlesque, l'amoureux du Carré Saint-Louis et de l'île Verte? Ce même cinéaste phare qui nous disait jadis: «Je tourne juste pour rester vivant», le voici mort à 80 ans. Achevé par la maladie de Parkinson, sournoise, qui l'avait claquemuré dans sa chair. Chloé, ses enfants, ses amis, ses admirateurs l'auront vu dépérir de mois en mois. Puisse-t-il trouver en quelque éther la délivrance!
Une trentaine de courts et longs métrages dans une oeuvre foisonnante, passionnée, à l'écoute d'une société émergeant du giron religieux. Son oeil fut témoin et révélateur de toutes nos fractures.
Il ne vieillira pas dans La maison d'hébergement Gilles-Carle, inaugurée le 7 novembre dernier à Saint-Paul-d'Abbotsford, par sa compagne, qui s'était battue bec et ongles afin d'ériger ce centre destiné aux personnes en perte d'autonomie. Son nom servira là-bas de bannière.
Gilles Carle, qui aura droit à des funérailles nationales, s'étonnait toujours, lui si anticonformiste, de recueillir les honneurs, voire d'avoir bel et bien une oeuvre derrière lui.
Il en aura reçu, des distinctions pourtant, du prix Albert-Tessier, à la Légion d'honneur française, à une pluie de prix Génie, sans compter le reste. Si longtemps accueilli à Cannes, où six de ses films furent projetés. En compétition en 1972 avec sa merveilleuse Vraie Nature de Bernadette dans lequel irradiait Micheline Lanctôt, en âme généreuse aux ailes brisées par la médiocrité du monde. Il remportera sur la Croisette en 1989 la palme d'or du meilleur court métrage avec 50 ans, sur le parcours de l'ONF.
Depuis la sortie des Mâles en 1970 à Paris dans un cinéma porno, accueilli par une presse française enthousiaste, la France l'avait adopté, tout comme sa muse, la belle Carole Laure. Gilles Carle a fait rayonner notre septième art dans nos frontières et hors Québec, avec ce dosage d'humour, de fantaisie, de grivoiserie, de lyrisme, d'imagination folle et cette quête d'une identité fuyante, récoltée parfois sur les traces d'un père enfui, comme dans l'emblématique Mort d'un bûcheron.
Carole Laure, avec six longs métrages en tandem, évoquait hier la mémoire de celui qui changea son destin: «Cultivé, passionné, pédagogue, témoin attentif de sa société. Il m'a tout appris!»
Il jugeait notre cinéma timoré en général, lui qui brisait tous les moules. Macho et féministe, libérant ses héroïnes ou les cassant, montrant leur exploitation, épris des femmes et des actrices, dont plusieurs furent ses compagnes. Avec surtout Carole Laure dont il fut le mentor et l'amoureux des années 70, puis sa dernière muse Chloé, pourtant éreintée par la critique en 1986 dans La Guêpe et Carle avec elle. Le cinéaste, bon prince, nous avouait avoir énormément appris de cet échec, et se pencher davantage sur le style des critiques que sur leurs flèches assassines... Mais le coup fut rude.
Du Viol d'une jeune fille douce en 1968, à Pudding Chômeur, en passant par La Vraie Nature de Bernadette, La Mort d'un bûcheron, La Tête de Normande Ste-Onge, Fantastica, Maria Chapdelaine, etc., que de femmes il aura placées au bord du gouffre ou à la tête des eaux, entre écrasement et libération, ou vice-versa! Même les acteurs qu'il mit en scène, dont Donald Pilon, un de ses interprètes fétiches, en Métis aux prises avec la société dominante dans Red en 1969, eurent droit souvent aux rôles de déchirement. Et comment oublier l'adaptation grandiose des Plouffe de Roger Lemelin en 1981, fresque demeurée culte?
Carle se destinait à la science, à la littérature ou aux arts visuels — il avait étudié à l'École des beaux-arts de Montréal —, mais fit son entrée au cinéma dans un ONF en ébullition, à travers des courts métrages documentaires. C'est l'extraordinaire Vie heureuse de Léopold Z, faux documentaire sur le déneigement détourné en fiction touchante et libertaire, qui le révélera en 1965. Carle quittera l'Office National du film l'année suivante, faute de pouvoir réaliser les fictions dont il rêvait. C'est en tandem avec Pierre Lamy qu'il produisit plusieurs films témoins de l'éclatement de la Révolution tranquille, mais aussi des séquelles des années de noirceur, dont La Mort d'un bûcheron, à cheval sur nos racines et nos libérations, premiers pas dans ses films de la jeune Carole Laure.
De son Maniwaki natal, en pleine Abitibi où il naquit en 1929 dans un milieu modeste, d'une jeunesse plus tard à Rouyn-Noranda en découvrant le cinéma avec enchantement, il aura conservé une liberté et un amour de la nature que ce Métis algonquin ne dédaignait pas attribuer à ses racines autochtones.
Cinéaste, scénariste, producteur, réalisateur publicitaire aussi, également peintre montrant le même humour hirsute que dans ses films, il s'est voulu un créateur populaire avant tout. Même dans certains documentaires, genre dans lequel il excellait, tels Ô Picasso, Cinéma, Cinéma, Vive Québec, aux montages fous et libres. Mais son meilleur documentaire fut en 1982 Jouer sa vie, incursion dans l'univers des joueurs d'échecs, qui connut un retentissement international très mérité.
.En fin de course, ses fictions s'essoufflaient. La Guêpe, La Postière et Pudding Chômeur ne furent pas ses meilleurs coups, tant s'en faut, mais Carle se battait pour continuer, contre les institutions souvent. Il n'aura jamais pu faire son film sur La Corriveau qui l'inspirait si fort.
Charles Binamé avait réalisé en 2006 l'émouvant documentaire Gilles Carle ou l'indomptable imaginaire, pas de deux entre cinéaste diminué et sa lumineuse Chloé face aux beautés de l'île Verte.
Aujourd'hui, tous ces Gilles Carle de lumière et d'ombre se réconcilient, face au rôle immense qu'il joua en propulsant au cinéma un Québec tout écartillé. Sa mémoire nous remonte à la gorge. Parti déjà? Parti enfin au bout de ses souffrances? Ou bien retrouvé à l'heure des bilans et des discours avec six millions de mercis?
Gilles Carle 1929-2009 - L'oeil phare de nos libérations s'éteint Odile Tremblay 30 novembre 2009 Le devoir
1 commentaire:
je me retrouve tellement en Chloé Sainte-Marie, elle est mon idole dans sa lutte pour la cause de son chum, la cause de tous les vieux malades en fait..
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