samedi 20 mars 2010

De la vie des bernaches ( en intégralité )

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Voici une nouvelle de mon cru. La première de mon existence. La première publiée. Sic. Et que j'ai l'intention de rendre à son aboutissement.

Pour le moment, elle n'a pas de titre. Avertissement : C'est venu d'un seul jet.

Les envolées électives ( Nouvelle )

À Gabrielle Roy, de toute évidence…

De la vie d’une bernache

Je suis d’une vie colérique et amnésique. Une vie qui ne se tolère pas elle-même. Elle tente souvent la détente, mais comme une vraie insomniaque, elle s’épuise et dort au soleil.

Je suis d’une vie langée de passion, mais chaque fois quelle a trop chaud, elle se débarrasse de ses couches car elle étouffe. Sa liberté se tortille. Se cabre. Et je me sauve. Je ne veux plus coexister à mes côtés. Je dois me faire peur.

Au moindre incident de parcours, je glisse vers la névrose, je deviens malade et je me dissimule dans le silence. Je me couche dans un lit, je me méfie de la lumière et des fenêtres.

J’ai l’ouïe furtive et schizophrène. La peau frileuse, peureuse. J’épie chaque bruit qui s’élève. J’ai la langue sèche.

Je me souviens alors de tout. De toutes, de tous. De moi avec elles, avec eux. De moi qui les appellent et qui les repoussent.

Quelle heure est-il ? Quel temps fait-il dehors ? Je ne saurais dire.

Je suis d’une vie fourbue chaque jour de la semaine. D’une vie épuisée tout le temps. Comme si elle avait cent ans. Comme si elle s’épuisait à chaque instant, de chaque instant. Pour un tout ou un rien. Pour être hâtive et se sentir utile.

Ah la manie qu’elle a de tout compliquer ! D’être effrayante envers elle-même, pour se protéger d’elle-même avant tout. Semble-t-il.

Je suis d’elle et pas d’elle. Je l’aime et la renie avec la même force. Je ne connais qu’elle, alors…Je voudrais l’éviter mais elle refuse et s’éternise dans mon souffle, mon nom, mon ordre des choses. Dans mon silence aussi.

Je suis un fou las mais fébrile. Un stérile. Un loup sonore et vorace. Une brebis docile et pleurnicharde. Tout ce qui part de ma bouche impressionne quiconque. Sauf moi. Ce murmure tourmenté et avide de compliments. Je dis. Je clame. J’éveille. Je capte et touche. Mais aussitôt, c’est la fuite. Je mords les lèvres qui me baisent. Je fuis mon propre écho.

Il semble inutile de me justifier pourtant. D’expliquer, sous toutes ses coutures, ma réalité, de l’étaler sous vos yeux pour attiser votre amour. Cet amour que j’écraserai aussitôt, de toute manière.

Mais je rêve d’un jardin humain.

Je rêve d’une digue, d’un abri, pleine de monde et de rames avec des mains. Vivre les uns sur les autres. Se toucher du premier au dernier sans se lasser. Se trouver, se perdre, et se retrouver comme des boussoles. Chacun est là dans son extraordinarité. Chacun, chacune, pour exulter dans ses pores, et avec celles des autres. De paumes en pores et en âmes sœurs.

Le haut du monde, le chant du monde d'en haut vu et entendu sans effort, est un pied-de-nez au reste. Un haut qui pince. C’est drôle parfois comme même l’altitude nous stabilise complètement. Surtout quand on n’est pas tout faim et seul.

Ma vie aime les hauts de cœur et d’âme. Elle les cherche assidûment, en plus. Même si son gouverneur n’a pas la conviction de le mériter amplement. Mais je suis malgré tout ce que je puisse y penser l'ombre et le sable du cadran solaire, et du sablier. Je m’amuse, quand j’en ai l’énergie à jeter des ponts-levis entre moi et moi. Je suis plus solide que je ne le pense. Je pourrais être tous les ponts-levis de la terre, si seulement, je le voulais. Juste quelques secondes, même.

Je suis d’une vie bifurquée, déviée. Parce qu’elle a trop peur de se mouiller, de perdre d’elle-même, en elle-même. Elle n’est pas si grande, mais elle se complique les dimensions. Les azimuts. Elle extrapole ses limites. Mais elle n’a pas de taille.

« Tu savais, mon espèce de grand fou, tu savais que le dernier mot d’hier n’était pas le dernier ? »

« Quoi ? »

« Il ne l’était pas et ne le sera jamais, d’ailleurs. Car ta langue s’y objecterait avec venin et vigueur. Elle n’est pas courte, celle-là. Oh que non, au contraire, elle s’étiole comme elle veut pour faire sienne tout l’espace qu’elle attrape. »

" Et souvent les autres ne sont que des prétextes et des auditoires accessoires. Ils font délier ta langue, c'est tout. Autrement ils ne sont riens."
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Nous sommes tous des inadaptés en liberté sociale provisoire mais définitive. Nous sommes enfermés dans des gueules de métal, de foudre, de cage, de maltraitance. Et vive l’exhibition.

Nous avons des bras, mais leurs doigts n’ont pas de pouce.

Nous avons des yeux, mais leur vue est sans mémoire, sans vision.

Nous avons des pieds mais ils n’aiment pas les semelles, les balades et préfèrent demeurer sur le pas de tout.

Nous sommes des oreilles, mais leurs tympans se nourrissent de silence et de flou.

Nous sommes des clowns qui prennent des médicaments !!!

Nous marchons avec des cannes le jour, et dansons dans les airs, la nuit. Sans filet.

Et cela nous fait rire sans arrêt. Le rire nous remplit la transe.

On le croit essentiel et on s’en empiffre.

Tu es atteint de peur généralisée, chronique, anachronique. Et tu te perds dans tes sensations d’en être certain. Tu erres sans savoir que tu sais. Ton cri est aphone et tes traces invisibles. »

« Tu palpes ton existence. Mais sans la toucher vraiment. Tu ne sais que l’embellir d’adjectifs délicats. Et menteurs par-dessus le marché. »

Ma vie n’est qu’un bombe à retardement. Qu’une nuit de bombes sans trêve sans couvre-feu. Même si elle s’acharne à se foutre la paix. À s’arracher des étincelles, des tisons. Elle ne parvient qu’à faire le bruit qui éloigne.

Car elle fait ça comme une prière. Ça n’arrive jamais à point nommé. Mais trop avant, ou trop après. Qui a trop soif, boit mal ou trop. Ou ne sait plus qu’il a soif. Maîtriser ses prières, ses incantations, ce n’est pas souvent suffisant. Le ciel est loin de la terre.

Ma vie s’en prend souvent à sa tête. Elle l’accuse de tous ses maux. S’insurge contre sa dictature de la raison avant tout. Ma vie a son creuset entre l’œil et le nez pour s’orienter.

Quand je sors, habituellement, de chez moi pour aller au front, comme je le dis souvent , je suis hardi, chargé à bloc d’adrénaline mais cette fois-là, j’étais plutôt abattu. La foudre venait de me tomber littéralement dessus. Et c’est peu dire. A quelques pas de ma porte une balle perce mon menton. J’apprends que je ne suis plus condamné à mort et je suis terrifié. Et j’implose.

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J’étais un jeune naïf, fier au fond de l’être, d’être soldat de la résignation , qui marchait la tête haute même quand elle était basse. Qui se prélassait dans le mal-être. Qui se signait d’une croix pour se carburer. Je jouais au brave fantassin alors que je n’étais qu’une mauviette mort de peur et paralysé dans sa tranchée.

"Mais je ne vous laisserai pas faire comme ça !"

Vos balles sifflotantes sont insupportables pour mes tempes. Sont des repères dont je me passerais. Car j’abhore la guerre. Elle m’horrifie, m’horripile. Elle est si peu moi. Je suis le tourment mais pas celui des casques rouges et des baïonnettes sournoises. Je suis le feu mais pas celui de l’arme à foudre dans la main tremblante des enfants-tueurs. Je suis le combat, mais celui des termes de mon âme, et non celui de l’orgueil des comptes à rebours.

Je semble être le chaos alors que mon plan de vue est bien serein, bien étale. C’est mon passé qui épuise mon orée établie. Mon orée ensoleillée. Fruitée et feuillue. Pleine de bras, de jambes, d’étreintes, de dérives caressantes.

D’ailleurs je me plais dans les parcs à attendre ma juste part de silence, de présence, de l’instant-même qui vibre devant moi, qui frissonne inlassablement. Le longs des verdures, les promeneurs passent, me frôlent, dépensent leur pas et me font de la compagnie. De la compagnie mobile et furtive. Mais de la compagnie essentielle à ma survitude.

Je les regardent, je les scrutent et je leur posent des questions. Sans mot dire. Je suis une passerelle.

« Qui êtes vous, donc, toutes et tous ? «

-« Chacune, chacun, tant que vous êtes, que faites-vous ici ? De quoi venez-vous vous délivrer au juste ? De vous-mêmes ? Des embûches humaines qui se dressent sur vos désirs, vos identités ? Vous cherchez à les inhumer pour de bon, c’est bien cela ? Ou seulement, momentanément. Le temps d’une fugue. Parce qu’ils sont indécrassables ! »

-« Peut-être êtes-vous ici, simplement pour vous-même. Pour vous retrouver vous-mêmes, tel que vous vous sentez bien, dans toute votre vérité d’être et votre fraîcheur ? «

-« Oui ? Alors envolez-vous bien, en grand essor, en grande altitude. Planez, longtemps. Longtemps. Juste pour le bien-être, et qui sait, le bonheur-même. »

-« Je n’ai pas de mal à vous apercevoir planer dans les nuages, dans le vertige majestueux. Vous être libres. Vous êtes la bleutée, la beauté. Vous êtes surtout beau par votre volonté d’être bien. »

-« Vous me prenez avec moi, sur votre monture aérienne et désaliénante ? Je serai un baluchon d’alliage léger et allié ! »

Je prospecte un de ces oiseaux laboureurs de la vastitude. Je l’amène jusque dans mes yeux, jusque dans mon cœur naufrageur. Jusque dans mes rêves les plus fous. Je le regarde, donc. J’attends la suite. Et elle ne tarde pas. Aussitôt regardant, aussitôt regardé. Je passe du vous au tu. Du pluriel au singulier.

« Je te ceints le corps, par ton ventre. Tu es mon amoureux. Ma bernache attendue. Et je vole par toi. »

Mais je demande juste : pourra-t-elle se rendre aussi loin que j’en ai besoin ? Au fond elle s’en fout sans doute, peut-être. Sauf si elle est amoureuse elle-aussi, du ciel, de moi, de l’éternité. Assurément puisqu’elle m’a déposé, candidement, sans aucune hésitation sur sa scelle.

Mes forces reconstituées, flanqué de ma nouvelle aile, je pars pour moi-même. Sans mes peurs, et sans mes reproches, surtout...

Le jour vacille sérieusement. Il ne lui reste assez d’énergie, à Bernie, que pour lui-même à force de l’avoir dépensée à ne croire qu’en moi. Mais il sait encore faire l’effort de l’amour, de la fraternité, de la mère nourricière. Et je suis cette bouche.

Bouche avide de tant d’empressement à mon égard. C’est moi d’habitude l’avenance relationnelle. Grand bien me fasse.

« Jamais plus , mon protégé, tu ne te retrouveras devant un appel clos. Dès que tu ouvriras la bouche pour crier à l’aide, à la tendresse, je serai là. Avenante, justement..de tout dévouement. Je ne m’oublierai pas complètement, à ton avantage, mais je te préviendrai pour ne pas que tu t’abîmes en vain, que tu te méprennes sur ta beauté. Ta beauté injustement crainte. On te croit fragile à mort, mais tu es fort à vie !! »


Nous sommes maintenant infiniment loin de notre port d’attache. Tant mieux. Tout est exotique ici, à nos yeux. Tout.

Le rire des quidams, des petites gens, qui éclate partout sur les pavés. Tout ce monde il est joyeux il est gentil. Il rayonne. Il n’est pas invisible. Il ne se fait bousculer. Il trouve son corridor partout il marche. Il est heureux parce que sa place est reine chaque instant.

La mendicité a disparue. Elle s’avère inutile dans un pays, tel que celui-ci qui donne à tout venant. Avant même qu’on le ne fasse. Ce pays appartient à chacun. Et si les rois sont heureux, la royauté est légion ici.

Ici, c’est le recommencement de la perte. La pitance à fleur de bras. Ici c’est chez-moi, chez-nous.

« Nous restons, Bernie ? Nous restons, ici, pour de bon ? Ce sera notre nid neuf !«

Mon passé immédiat, aussitôt que nous fûmes débarqué, défailli, jusqu’à en crever. Nous, Bernie et moi ne lui firent même pas d’obsèques. Pas tout à fait vrai ; nous écrivirent le nom des mots qui tuaient et qui abrutissaient, gelaient, induaient en erreur, sur des monceaux de papier, griffonnés. De nos encres. Et on se le les mets bien en bouche, pour les exorciser.

- Moi : « colère amnésique. C’est à toi.»

- Bernie : Ok. incident névrotique

- Langue sèche mordant les lèvres qui nous baisent

- Vie fourbue de cent ans épuisée chaque jour de la semaine.

- Je suis une brebis docile et pleurnicheuse

- Je d’une vie bifurquée..

- Déviée ?..

- Oui.

Et alouette, alouette..ah tu ne me déplumeras jamais plus.

Bernaches, outardes, je suis vous, je suis de vous. Bernie en est l’exemple. Comme elles, je suis pour la fidélité conjugale, pour la vie communale. J’ai le sud, mais mon pays est au nord. J’ai la mémoire des lieux. Quand je suis bien quelque part, j’y retourne toujours. J’aime me nicher près de l’eau, et y pondre ma vie. Je garderais toute ma nichée avec moi, comme des Tanguy éternels, tant que l’amour n’est pas un lot. La famille, c’est la famille…J’aime l’idée du vol en V. l’idée de passer le flambeau, de se reposer alors que l’autre veille. Et vole.

Je suis d’aujourd’hui. De demain.

Et dans notre nid, Bernie et moi, nous nous chuchottons des vocables gagnants :

-Moi : apaisement

-Bernie : recommencement

-Moi ?

-Non, nous…

Pour l’instant je suis d’une vie à deux, d’une vie de bernache, et je me porte à merveille.

Vous l'aviez sans doute déjà deviné. Bernie c'est moi.

FINNNNNNNNNNNNNN.

Longueuil, mars 2010

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