mercredi 31 mars 2010

L'art est difficile, la critique est aisée disent-ils ...

Photomontage: Francis Léveillé, La Presse

Ratés, frustrés, hypocrites, stériles, les qualificatifs peu flatteurs qu'on lance aux critiques ne manquent pas. Critiquer la critique est un sport, mais c'est aussi un mécanisme de défense. Comment les créateurs font-ils pour remonter sur les planches, pour reprendre le stylo, pour retourner sur un plateau de tournage ou de télévision après s'être fait lancer des tomates? Douze artistes se confient.

Pour beaucoup d'acteurs de théâtre, la recette est simple: afin de protéger leur orgueil, mais aussi leur art, ils ne lisent pas les critiques tant que leur pièce n'a pas quitté l'affiche.

«Quand la poussière est retombée, que la première a eu lieu, que je me sens plus en contrôle, alors là, je vais être intéressée par ce qu'en dit la critique», raconte Anne Dorval.

«Moi aussi, comme plusieurs de mes camarades, j'attends, renchérit Danielle Proulx, mais parfois ça te vient aux oreilles malgré tout. Je me souviens d'une pièce démolie par la critique où nous étions 15 acteurs sur scène. En plus de jouer la pièce tous les soirs, nous sommes partis en tournée en sachant parfaitement que le show n'était pas bon et que les critiques avaient raison. La seule chose à faire dans un tel cas, c'est de s'assumer dans le malheur et d'être solidaires.»

Si plusieurs s'entendent sur la brûlure, la blessure, la morsure ou le coup de poing qu'on ressent après une mauvaise critique, certains, comme le metteur en scène Yves Desgagnés, affirment que, dans l'absolu, une mauvaise critique ne change rien. «Je suis dans le milieu depuis plus de 20 ans et je ne connais personne, personne, qui a modifié un spectacle ou un projet artistique à la suite d'une mauvaise critique», affirme Desgagnés.

Denise Filiatrault, qui travaille dans le milieu depuis 63 ans, abonde dans son sens: «Une fois que la première a eu lieu, il faut que tu acceptes ce que tu as fait. Tu ne peux pas commencer à écouter untel ou un autre et changer des choses tous les soirs. Tu peux toujours rager, pleurer, mais l'important, c'est de rester aussi fort que du fer.»

Yves Desgagnés va plus loin en affirmant que, bien souvent, les critiques les plus sévères viennent des artistes eux-mêmes.

Anne Dorval le confirme: «On n'est pas cons. On sait ce qu'on fait, et parfois on sait des semaines à l'avance qu'on est dans un train qui fonce tout droit sur un mur de béton. Mais on n'a pas le choix. On s'est engagés. On a signé un contrat. On est des professionnels, alors on y va. En serrant les poings.»

La metteuse en scène Brigitte Haentjens, qui reprend Douleur exquise avec Anne-Marie Cadieux au Quat'Sous en avril, a décidé un jour d'arrêter de se rendre malade avec la critique.

«Aujourd'hui, après plus de 30 ans de métier, je suis beaucoup plus relaxe face à la critique. Je m'en fous un peu, sauf en ce qui concerne mes acteurs. Quand ils ont de mauvaises critiques, je suis blessée pour eux. Et quand je les retrouve au théâtre le jour où la mauvaise critique a paru, j'évite tout simplement d'en parler.»

Chemin de croix et baptême de feu

Le pianiste Alain Lefèvre croit, lui, que les coups et blessures de la critique vont avec le territoire.

«Du moment que tu décides de faire le métier de musicien et de t'exposer sur une scène, tu dois vivre avec le fait que tu vas aussi bien plaire que déplaire fortement à beaucoup de gens. J'ai vu des artistes vouloir attaquer des critiques en justice ou dans les journaux. C'est une erreur colossale. Tu ne changeras jamais l'opinion d'un critique. Et demander sa tête ne rime à rien. Si un critique part, 20 autres vont se lever pour prendre sa place. Et il y en aura parmi ceux-là qui seront encore pires.»

Qualifié de héros par le Los Angeles Times et de virtuose foudroyant par le Washington Post, Alain Lefèvre a connu aussi son lot de critiques assassines.

«J'essaie de relativiser et de ne pas donner plus d'importance aux mauvaises critiques qu'aux bonnes, explique-t-il. Sans compter que les bonnes critiques te mènent parfois au piège du confort. J'ai vu des artistes tellement habitués à être encensés qu'ils s'effondrent à la moindre mauvaise critique. Ou alors ils deviennent paranos et croient qu'il y a une cabale contre eux. C'est dangereux.»

Si une bonne critique est un piège, qu'est-ce qu'une mauvais critique? «C'est un chemin de croix, répond Alain Lefèvre, un baptême du feu qui pousse a être plus fort et à aller de l'avant.»

Chemin de croix ou coup de poing? Le cinéaste Ricardo Trogi, dont le film 1981 est en nomination pour le meilleur film de l'année aux Jutra, choisit d'emblée le coup de poing. «Les rares mauvaises critiques que j'ai eues ont été pour moi des coups de poing. Pour le choc de la surprise et parce que ça surprend plus que ça fait mal.»

Combien de temps avant de s'en remettre? «Vingt-quatre heures, répond spontanément Trogi. Ce n'est pas ma faute. C'est chimique. Je suis né avec un excès d'hormones positives.»

C'est moins le cas du cinéaste Gabriel Pelletier, qui panse encore les blessures que lui ont laissées les critiques de son film Ma tante Aline. «Une mauvaise critique, ça touche ta carrière, ton moral, ta foi en toi-même, et la guérison peut prendre des années. Il faut comprendre qu'un cinéaste a souvent un rapport amour-haine avec son film. Quand on tourne, on pense qu'on tourne le meilleur film au monde. Au montage, on se trouve pourri et on fait le deuil de tout ce qu'on n'a pas pu faire. Et dès que le regard de l'autre entre en scène et n'aime pas ce qu'il voit, on ne l'aime pas non plus.»

Un scénariste connu et souvent encensé par la critique a carrément cessé d'écrire après une seule mauvaise critique du film qu'il venait de scénariser.

«Le texte de la critique était mesquin et facile, mais il confirmait ce que je savais qui ne marchait pas depuis l'assemblage du film. Après coup, j'ai mis quatre ans avant d'accoucher d'un nouveau scénario, raconte celui qui tient à garder l'anonymat. Aujourd'hui, je ne travaille plus tout seul. Je suis retourné à l'anonymat pour me protéger. J'ai perdu une bonne dose d'idéal; je ne m'investis plus corps et âme comme avant. Je suis devenu un plombier.»

Besoin d'humilité et de concentration

Changement de perception, modification de la trajectoire, une mauvaise critique peut entraîner les créateurs sur des chemins insoupçonnés.

Pour Guy A. Lepage, les mauvaises critiques l'ont poussé à faire le point et à vouloir comprendre ce qui n'allait pas.

La première fois, c'était après que TQS n'eut pas renouvelé son contrat pour Besoin d'amour, un talk-show qu'il a animé 160 soirs de suite malgré des critiques mitigées. La deuxième fois, c'était au gala de l'ADISQ où, pour protester contre l'absence de Richard Desjardins, il avait envoyé valser le trophée du chanteur.

«Pour survivre à la critique, ça prend de la concentration et de l'humilité, affirme Lepage. Autant dire que j'en ai eu besoin en me voyant à la une du Journal de Montréal le lendemain du gala. Pas parce j'ai mal animé la soirée. Parce que j'ai mal utilisé ma tribune et mal évalué mon rôle. Après coup, j'ai réfléchi à tout cela, j'ai fait mon mea culpa et j'ai été sauvé par Tout le monde en parle et par un prix Metrostar trois mois plus tard. Il n'est pas exclu que j'anime un autre gala, mais disons que j'ai eu ma leçon.»

Dany Turcotte, pour sa part, a appris à survivre à la critique en observant son collègue et coanimateur à Tout le monde en parle. Mais il n'a jamais totalement digéré deux mauvaises critiques du temps où il faisait partie du Groupe Sanguin.

«La première fois, c'était au lendemain de notre première à Montréal. René Homier- Roy a louangé tous les membres du Groupe Sanguin, sauf moi. Ce soir-là, je suis remonté sur scène complètement déstabilisé. Par la suite, non seulement je me réveillais la nuit pour le haïr, mais je passais des heures à l'engueuler dans ma tête.»

La deuxième mauvaise critique est arrivée sept ans plus tard sous la plume de Louise Cousineau. Le Groupe Sanguin venait de présenter une édition spéciale de deux heures à la télé et de signer un contrat pour une émission régulière à la SRC. Mais cette mauvaise critique a tout remis en cause. Non seulement le Groupe Sanguin a annulé son contrat de télé, mais il a annoncé sa séparation.

«On étaient jeunes, naïfs et l'opinion de Mme Cousineau comptait beaucoup pour nous. En fin de compte sa critique a révélé notre grande fragilité.»

Vive le Je-m'en-câlice

Brûlure? Blessure? Coup de poing? Pour Véronique Cloutier, une mauvaise critique est une brûlure qui guérit mais qui laisse une cicatrice. Dans sa carrière, Véro a essuyé quelques mauvaises critiques, mais aucune n'a égalé le tsunami qu'elle a vécu après le Bye bye de 2008.

«Sur le coup, c'est une claque dans la face, ça te met à terre et ça fait d'autant plus mal que t'es convaincu que les critiques sont dans le champ. C'est normal. Faut être vraiment loser pour s'écraser tout de suite devant la critique. Mais à la longue, tu te rends compte qu'il y a de précieuses leçons à tirer de tout cela.»

Véro affirme que ce qui l'a aidée à surmonter la critique, c'est d'abord son instinct de survie, sa propension à ne pas trop regarder en arrière et un trait de caractère qui lui est propre, inspiré du je-m'en-foutisme: le je-m'en-câlice.

«Je sais que ça peut paraître un peu vulgaire, plaide Véro, mais dans ce «je-m'en-câlice», il y a plusieurs choses: d'abord le sentiment que je ne suis pas le nombril du monde et que les gens ont d'autres choses à faire que de se préoccuper de moi. Il y a aussi le fait que j'aime ce métier plus que tout, que j'ai un fun noir à le faire, que je sais au fin fond de moi que je suis à ma place dans ce métier-là. Ces choses-là, aucune mauvaise critique ne pourra me les enlever.

L'art est difficile, la critique est aisée, disent-ils.

Chose certaine, survivre à la critique, surmonter ses blessures, ses brûlures, ses morsures, son poison parfois paralysant, mais surtout en tirer des leçons d'humilité et des enseignements de vie et de sagesse n'est pas qu'un sport. C'est un art.

1 commentaire:

Patricia a dit…

"les critiques sont aux comédiens ce que les pigeons sont aux statues!"

Tu devrais lire "Critique des critiques" de Marcel Pagnol, c'est superbement bien écrit. :o)