samedi 13 mars 2010

Une Marie-Jeanne exceptionnelle


Photo: Yves Renaud


(Québec) Préparer un récital qui plaît au public, pour Marie-Josée Lord, c'est un peu comme composer un plat d'entrées grecques. On y dispose toutes sortes de belles et de bonnes choses pour, dit-elle, créer un ensemble coloré et appétissant. Ce n'est pas une question de compromis, mais de goût, de saveur et de parfum.

Sur la scène de l'opéra, à Québec et à Montréal, elle a brillé ces dernières années en Liù dans Turandot, en soeur Angelica dans l'opéra du même nom ou en Mimi dans La bohème. Elle s'est ensuite fait connaître d'un plus vaste public en interprétant les chansons de Marie-Jeanne dans la version symphonique de Starmania, puis en incarnant le personnage dans l'adaptation de l'oeuvre de Plamondon et de Berger à l'opéra.

Malgré ce succès déjà enviable dans l'univers lyrique, il semble pourtant que la soprano originaire de Lévis préfère encore le cadre plus intime du récital. «C'est une dimension dans laquelle on a beaucoup plus de liberté, fait valoir l'artiste. Ce que j'aime aussi, c'est que j'ai le contrôle sur tout. Mais c'est plus difficile à vendre parce que c'est un peu plus austère. Mais comme cette austérité ne colle pas tellement à ma personnalité, j'essaie de connaître à l'avance le public auquel je m'adresse et j'adapte mon programme en conséquence.»

Marie-Josée Lord ne veut surtout pas réduire son art à une seule dimension. «Même au récital, insiste-t-elle, j'essaie de faire ressortir le côté plus bubbling de ma personnalité.»

C'est justement pour montrer son côté givré, pourrions-nous dire, que le programme qu'elle présente, ce soir à la salle Raoul-Jobin, combine un certain nombre de mélodies et d'airs d'opéras. Celui-ci s'intitule Survol d'une voix et comprend des morceaux en français, en espagnol, en anglais et en italien, «parce que je voulais que ce soit le reflet de tout ce que je peux offrir». Poulenc, Satie, Gershwin, Bernstein et De Falla figurent en première partie. La seconde est consacrée à l'opéra (dont l'air de La Wally popularisé dans le film Diva), et aux negro spirit', comme elle dit. Ça commence à 20h.

La qualité de l'ambiance est un facteur important pour la chanteuse. «Le visuel joue pour beaucoup», croit-elle fermement. Aussi, pas question de se limiter à la lumière blanche classique, à son avis beaucoup trop dure. Côté éclairages, la couleur est donc également de mise, question d'«habiller» la scène.

Déterminée à briser les barrières qui l'empêchent de se faire entendre, Marie-Josée Lord semble, quand on l'écoute, lancée dans une sorte de croisade. «En tant qu'artiste, dit-elle, il y a des choses auxquelles je n'adhère pas. Par exemple, l'idée que l'opéra n'est pas accessible, qu'il faut avoir un Q.I. super élevé pour l'apprécier, quand, au fond, c'est l'art qui devrait intéresser le plus de gens, puisque tous les sens sont sollicités. Les gens ont seulement besoin qu'on leur explique pour qu'ils s'y reconnaissent et pour faire tomber les préjugés et les stéréotypes.»

C'est en réfléchissant aux manières de vaincre cette résistance et, ainsi, de frapper l'imagination que l'idée d'un récital original, ou plutôt d'un spectacle devrait-on dire, lui est venue. Elle l'a intitulé Bouillon et il lui permet de tracer de nouveaux parallèles d'ordre culinaire. «Dans ce concept, il y a du Bizet, du Verdi, du Plamondon, du Lama et du Dvorák. Dans le cadre conventionnel, plus classique, ça ne fait pas de sens. C'est pourquoi j'ai pris le parallèle du bouillon, c'est-à-dire un plat qui est fait de différents légumes qui, chacun dans leur goût individuel, quand ils sont ensemble, donnent un goût particulier. La chanteuse d'opéra ne s'efface pas, mais j'ai imbriqué ça avec des textes, pour garder toujours le public en contact avec moi. C'est important que les gens qui paient pour me voir sachent que j'apprécie leur présence, qu'ils font partie intégrante du spectacle.»

Pour l'avoir déjà expérimenté, ce rapprochement favorise paraît-il l'ouverture d'esprit et ne nuit nullement à la qualité de la prestation. «En tant qu'artiste lyrique, je ne suis ni en train de me prostituer, ni en train de diluer mon art. Pour moi, c'est ça l'important.» Paraît aussi que le concept se vend très bien!

À son avis, ce qui arrive en ce moment au classique est déjà arrivé à toutes les musiques. «C'est comme quand Elvis est arrivé avec son rock'n'roll. Il fusionnait ce qu'il avait vu ses amis noirs faire dans la rue et il le mettait sur scène, pour un public qui n'y était pas préparé. Ça a pris un temps d'ajustement. Après toutes ces années, on ne peut pas nier qu'il est devenu le ?King?. Quand une musique est en train de transiter, de s'ouvrir à de nouveaux horizons, il y a toujours un temps d'adaptation.»

Starmania est pour elle un exemple parfait de ce qu'elle avance. Chose certaine, elle n'aurait pu trouver mieux pour se faire apprécier d'un nouvel auditoire.

«Starmania, ça reste de l'opéra. C'est juste que l'ambiance est différente, le décor est différent. En tant qu'artiste, je peux répondre à tous les critères de mon art, peu importe ce que je fais.»


Richard Boisvert
Le Soleil

Lien : http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/arts-et-spectacles/sur-scene/200810/19/01-30901-dans-la-cuisine-de-marie-josee-lord.php

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