jeudi 4 juin 2009

Une page de circonstance : il fait frette ce printemps, par chez-nous



Quand le printemps approcha, ramenant le froid, au temps des Saints de glace


Quand le printemps approcha, ramenant le froid, au temps des Saints de glace et des giboulées de la Semaine Sainte, comme Mme Swann trouvait qu’on gelait chez elle, il m’arrivait souvent de la voir recevant dans des fourrures, ses mains et ses épaules frileuses disparaissant sous le blanc et brillant tapis d’un immense manchon plat et d’un collet, tous deux d’hermine, qu’elle n’avait pas quittés en rentrant et qui avaient l’air des derniers carrés des neiges de l’hiver plus persistants que les autres et que la chaleur du feu ni le progrès de la saison n’avaient réussi à fondre.


Et la vérité totale de ces semaines glaciales mais déjà fleurissantes était suggérée pour moi dans ce salon, où bientôt je n’irais plus, par d’autres blancheurs plus enivrantes, celles par exemple, des «boules de neige» assemblant au sommet de leurs hautes tiges nues comme les arbustes linéaires des préraphaélites, leurs globes parcellés mais unis, blancs comme des anges annonciateurs et qu’entourait une odeur de citron. Car la châtelaine de Tansonville savait qu’avril, même glacé, n’est pas dépourvu de fleurs, que l’hiver, le printemps, l’été, ne sont pas séparés par des cloisons aussi hermétiques que tend à le croire le boulevardier qui jusqu’aux premières chaleurs s’imagine le monde comme renfermant seulement des maisons nues sous la pluie.

A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU ( Marcel Proust )

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